Danser avec son histoire : s’approprier son passé à travers le mouvement
- armellerobilliard
- il y a 4 minutes
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Il est des souvenirs qui ne se contentent pas des mots : ils logent dans la respiration, sculptent la posture, orientent la démarche et, parfois, retiennent le geste. Le corps n’est pas seulement le témoin du passé ; il en est le scribe. Danser avec son histoire, c’est offrir au corps un espace de traduction sensible où ce qui a été vécu peut se dire autrement, se traverser, se transformer. Vous ne changez pas le passé ; vous changez la place qu’il occupe en vous. Le mouvement devient alors une manière concrète de redevenir l’auteur de votre récit.

Le corps, mémoire vivante et allié de transformation
Nous avons souvent appris à analyser, expliquer, rationaliser. Mais certaines empreintes du passé résistent à l’intellect et continuent de s’exprimer par des schémas corporels : épaules relevées, mâchoire serrée, souffle court, appuis instables. S’approprier son histoire par la danse ne signifie ni remuer la douleur sans discernement ni s’installer dans la nostalgie ; il s'agit de mettre de la conscience dessus pour transmuter ce qui doit encore l'être. Le mouvement propose une voie d’intégration : du figé vers le fluide, du contraint vers l’aisé, de l’isolé vers le relié.
Cadre de sécurité : les conditions qui rendent l’exploration possible
Avant de commencer, posez un cadre simple et protecteur :
Temps : réservez 20 à 40 minutes, sans interruption.
Espace : un lieu suffisamment dégagé, où vous ne serez pas observé·e.
Intention : formulez-la clairement (« je souhaite rencontrer et assouplir ce qui me pèse »).
Respiration : privilégiez des expirations prolongées pour inviter l’apaisement.
Droit au stop : vous pouvez ralentir, adapter, ou vous arrêter. Le respect de vos limites est une
condition de progrès.
Si vous traversez un traumatisme récent ou des émotions intenses, il peut être judicieux d’être accompagné·e par un·e thérapeute formé·e à l’approche corporelle.
Protocoles de mouvement pour libérer les blocages émotionnels
Les propositions ci-dessous sont conçues pour être réalisées seul·e. Avancez pas à pas, sans chercher la performance : l’efficacité naît de la qualité d’écoute.
1) La « marche des étapes » : revisiter son parcours
But : cheminer à travers les périodes de vie et sentir comment elles habitent le corps aujourd’hui.
Durée : 10–15 minutes.
Délimitez dans la pièce trois zones (par exemple : enfance, âge adulte, présent).
Dans chaque zone, marchez lentement pendant 1 à 2 minutes en observant votre respiration, l’angle des épaules, le poids sur les pieds.
Observez ce qui se passe corporellement (« je retiens mon souffle », « je presse le pas », « mes épaules se referment »).
À la troisième zone (le présent), ajoutez de la fluidité : laissez les bras suivre la marche, adoucissez les appuis, allongez l’expiration.
Reliez les zones en une boucle : chaque passage vers le présent incorpore un micro-changement choisi (pas plus grand, regard à l’horizon, bassin plus libre).
Terminez par quelques pas d’ancrage, le regard stable, en notant la différence de ressenti.
Sens attendu : une marche plus habitée, un souffle qui circule, le sentiment d’avoir « traversé » plutôt que subi.
2) Le « geste-symbole » et sa métamorphose
But : transformer un réflexe corporel associé à une émotion récurrente (se fermer, se raidir, se pencher).
Durée : 8–12 minutes.
Choisissez un geste qui vous est familier dans la difficulté (bras croisés, poitrine creuse, menton rentré).
Répétez-le lentement trois à cinq fois pour en sentir la mécanique (muscles sollicités, souffle, regard).
Élargissez ensuite le geste : ouvrez l’angle, changez d’axe, associez une expiration longue.
Inversion scénarisée : si le geste fermait, faites-le s’ouvrir ; s’il tirait vers le bas, laissez-le se hisser vers le haut.
Intégrez la version transformée dans une courte danse personnelle (1–2 minutes) où le nouveau geste revient comme un refrain.
Sens attendu : la sensation d’avoir une option. Ce qui était automatique devient choisi.
3) Cartographier ses appuis : reprendre contact avec le sol
But : stabiliser le système nerveux par la relation au sol, réduire la charge émotionnelle.
Durée : 10 minutes.
Pieds nus, transférez le poids avant/arrière puis gauche/droite, yeux ouverts puis mi-clos.
Imaginez que les plantes de pieds « s'enracinent » dans le sol : sentez l'ancrage, la densité.
Introduisez un balancement latéral du bassin, les genoux légèrement fléchis pour qu'ils soient disponibles.
Terminez par un relâchement du haut du corps vers l'avant (poids de la tête et épaules en avant) en expirant.
Sens attendu : présence accrue, baisse de tension globale, regard plus large.
4) Danser un souvenir, puis danser une ressource
But : réencadrer un souvenir en le traversant avec un soutien interne.
Durée : 15–20 minutes.
Choisissez deux musiques : l’une qui évoque le souvenir (douce, sans brusquer), l’autre qui vous apporte vitalité ou apaisement.
Premier temps : avec la première musique, dansez simplement ce qui vient (qualité du souffle, regard, densité des gestes). Ne forcez pas l’expression.
Transition : faites trois grandes expirations, sentez vos pieds, posez mentalement une main sur le cœur.
Second temps : lancez la musique ressource et laissez-la teinter votre danse précédente : même motif, autre qualité (plus ample, plus souple, plus vertical).
Bouclage : répétez 30 secondes du motif ressource en silence, pour l’ancrer sans la musique.
Sens attendu : élargissement de l’expérience ; le souvenir n’est plus seul, il cohabite avec une force de soutien.
5) Écriture somatique : fixer la transformation
But : intégrer l’expérience et reconnaître les déplacements internes.
Durée : 5 minutes.
Notez trois sensations (ex. : « chaleur sternum », « mâchoire souple », « ancrage pied droit »).
Écrivez une phrase-repère : « Aujourd’hui, je marche avec… ».
Datez, puis relisez la semaine suivante avant de reprendre un protocole.
Conseils pour entretenir l’élan au quotidien
Rituels brefs : 90 secondes d’ancrage debout (respirer, sentir les appuis, élargir les clavicules).
Vocabulaire de gestes : identifiez 2–3 gestes ressources (ouvrir la cage thoracique, bras en ouverture avec les paumes vers le ciel "je m'abandonne à la vie, je m'en remet à la vie", mains sur le cœur signifiant l'écoute et le retour à soi) et les répéter autant de fois que nécessaire sur une musique enveloppante.
Musique comme boussole : préparez deux playlists : « apaisement » et « élan ». Alternez selon les besoins du jour.

En conclusion
S’approprier son passé par la danse n’est ni effacer ni réécrire. C’est recomposer : accepter la réalité de ce qui fut, en y ajoutant la liberté du présent. Chaque séance devient une page où le corps retrouve ses marges, agrandit ses interlignes, réinvente sa ponctuation. À mesure que le geste se déplie, la place intérieure s’élargit : ce qui pesait devient densité utile, ce qui fermait devient contour, ce qui tremblait devient souffle. Vous demeurez la même personne, mais la relation à votre histoire change ; et c’est souvent suffisant pour que la vie circule autrement.
Si vous choisissez d’avancer, faites-le avec douceur. Un pas, puis un autre. Le mouvement sait. Le corps se souvient. Et, surtout, il apprend.
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